Laurent Marissal : Maquiller Linhart.pdf

"Eté 1993, peintre, je suis employé comme agent de surveillance au musée Gustave Moreau.  D’avril 1997 à janvier 2002, je fais de cette aliénation la matière de ma pratique. J’utilise à des fins picturales le temps de travail vendu au ministère de la culture. À son insu, le musée rémunère une production dont il n’aura pas la jouissance. Ce rapt est systématisé. Hiver 1998, j’ouvre une section syndicale CGT, outil administratif, pour concrétiser mon projet pictural : modifier réellement les conditions, le temps et l’espace de travail. Décembre 2001, je prends congé du ministère de la culture et quitte la CGT. Printemps 2002, je lève un coin du voile..."

L’artiste peintre, Laurent Marissal est employé comme agent de surveillance au Musée Gustave Moreau. D’avril 1997 à janvier 2002, il fait de cette aliénation la matière de sa pratique artistique : « J’utilise à des fins picturales le temps aliéné à la Direction des Musées de France. Sans peinture, la matière, c’est le musée même. » (1)
Sa pratique est à bien des égard comparable à la pratique de la perruque. Il détourne son savoir-faire et son contexte de travail (le musée) à des fins artistiques qui échappent à  son employeur.

Dans Pinxit, il résume ainsi le bilan de son action artistique : « Nietzsche écrit quelque part qu’un homme qui ne dispose pas des 2/3 de son temps est un esclave. D’avril 1997 à août 1998, sur 862,50 heures de travail aliéné effectuées au musée, j’ai recouvert 617,45 heures de travail  clandestin. J’ai lu 62 livres ; réalisé 77 actions clandestines; rempli 8 carnets de notes (PISAT) dont 3 furent publiés dans la revue Action Poétique ; volé 95 menus objets; vu 9 de mes parents ou amis ; je suis parti pour le Maroc et ai provoqué 2 jours de grève. J’ai aussi recouvert mon temps d’activités secondaires, et rédigé une partie de mon mémoire de maîtrise... De septembre 1999 à juillet 1999, j’ai pu m’évader 10 mois en congé formation durant lesquels j’ai travaillé joyeusement avec J.-C. A.-J. à la revue C.1855, Le Feuilleton. De 1998 à 2001, comme délégué syndical j’ai pu, au mois d’août 1999, partir pour Reims assister à l’ultime éclipse du XXe siècle, être élu à la commission administrative du musée, réaliser avec Xavier Cartel, un journal syndical crypté et exposer le troisième numéro lors de l’exposition Critique et Utopie, 30 ans de livre d’art en France, organisée par Anne Mœglin-Delcroix m’offrant là 3 jours de congé; glisser des indices dans Complex’tri et en exposer en quelques lieux (BNF, CNEAI...) mais surtout, modifier les espaces du Musée Gustave Moreau en provoquant la création de nouvelles toilettes, d’une douche, d’un vestiaire, d’un espace de pause, d’un bureau, l’acquisition d’un appartement pour les bureaux de la conservation permettant l’ouverture au public du bureau de Gustave Moreau et réduire le temps de travail des agents, d’1h30 par semaine... »(2)

L’artiste s’auto-représente au travail. Sieste clandestine est un autoportrait vidéo que l’artiste a réalisé sur son lieu de travail. Durant son travail de gardien au musée Gustave Moreau, il use de subterfuge (se dessine deux yeux ouverts qu’il colle sur ses paupières) pour pouvoir faire la sieste malgré le regard des caméras de surveillance.
De cette façon, auto-représentation, résistance subversive politique ou syndicale, et pratique de la perruque au travail se confondent ici dans sa pratique artistique. Les documents qu’il prélève ou les interventions qu’il documente ne lui servent pas tant à être exposé, comme c’était le cas pour les Land Artistes, qu’à réaliser des publications. Éditer ses travaux dans un livre comme Pinxit (3) ou sur son Blog (4) est une façon pour lui de déjouer la marchandisation propre au circuit traditionnel de l’art. Il ne produit pas d’objet/marchandise pour ne pas tomber dans la spéculation. Il cherche en ce sens à échapper à la réification de sa production artistique.


(1) Laurent Marissal, « Pinxit », Rennes, Incertain Sens, 2005, p. 41.

(2) Laurent Marissal, « Pinxit LM », Catalogue de la Biennale de Paris, Paris, 2007, p. 658.

(3) Laurent Marissal, « Pinxit », Rennes, Incertain Sens, 2005.

(4) Laurent Marissal, site personnel de l’artiste : http://painterman.over-blog.com.

 

Site personnel de l’artiste